ernand
Le Grand, héritier de la Bénédictine, est assurément l’un des plus anciens
amateurs de T.S.F. (le T veut encore dire télégraphie) quand apparaît la
radiophonie.
Lorsqu’il préparait son doctorat en droit, avant la première guerre mondiale, il
fréquentait assidûment le laboratoire d’édouard
Branly installé dans les locaux de l’Institut catholique de Paris.
Rendu à la vie civile, après la guerre, et rentré à Fécamp pour prendre en main
l’affaire familiale, il demande une autorisation d’émission d’amateur et reçoit
l’indicatif E.F.8.I.C.
Il fonde le ler
janvier 1924, le radio-club de Fécamp dont il est, bien sûr, le président.
L’objet de l’association est à peu près le même que celui de tous les autres
radio-clubs : unir les amateurs de T.S.F., les initier aux mystères de cette
science nouvelle, leur présenter les nouveautés et les guider, au besoin, dans
le choix de leurs appareils.
Le siège social est fixé au 16, rue Georges Cuvier, à l’étage mansardé au-dessus
du garage de la propriété des Le Grand et de la Bénédictine.
Les amateurs ne s’inscrivent pas en foule puisqu’au bout d’un an l’association
ne compte encore que dix-huit membres. L’année 1925 marque la première crise du
radio-club. Les membres désertent les réunions, car, à présent munis d’un bon
récepteur, ils captent chez eux les stations existantes. Fernand Le Grand décide
que puisqu’ils ne viennent plus au radio-club, le radio-club ira a eux ! Avec
une poignée de fidèles, il construit un petit émetteur de quelques watts en
téléphonie. La mise au point et les essais purement techniques prennent
plusieurs mois de l’année 1926.
A la rentrée, après les vacances, des émissions expérimentales d’un quart
d’heure, de 20 h 15 a 20 h 30, sont organisées chaque samedi avec 8.I.C. sur 200
mètres et 20 watts de puissance, dans le local de la rue Georges Cuvier.
A partir du samedi 20 novembre 1926, le petit placard annonçant les activités du
radio-club de Fécamp et de la région dans la presse locale, porte en sous-titre
"Émissions Radio-Fécamp", et le texte en est encore très prudent :
"Essais de modulation (voix humaine), avec lecture des nouvelles locales et
régionales" (Book-press
de Radio-Normandie depuis les origines).
Le samedi 25 décembre 1926, le R.C.F.R. annonce que 8.I.C. ne fera pas
d’émissions et que les essais seront repris le vendredi 31 décembre. Il est
précisé que Radio-Fécamp met au point le montage de son poste d’émission
définitif, avec lequel il compte étendre sa portée et sa puissance. On sait qu’à
l’heure actuelle, avec son montage de fortune, 8.I.C. est néanmoins reçu dans
d’excellentes conditions, dans un rayon de 40 kilomètres et principalement par
les bateaux qui se trouvent au large.
Le samedi 29 janvier 1927, avec un nouveau micro, Radio-Fécamp commence ses
premiers essais de radiodiffusion musicale. Puis le poste suspend ses émissions
à partir de février. La construction d’un deuxième émetteur plus professionnel
est entamée... mais la zizanie s’installe au sein du radio-club. Certains
membres n’apprécient pas les folies du président qui veut faire de la
radiodiffusion. Ils estiment la chose impossible ou inutile. Ils dénient au
comité le droit d’utiliser les cotisations pour les engloutir dans cette
chimère. C’est la scission !
Fernand Le Grand, têtu, utilise ses fonds personnels pour construire un nouvel
émetteur avec les amis qui lui sont restés fidèles. Mais, du coup, il l’installe
chez lui, dans sa vaste maison familiale, 125, rue Théodore Boufart, qui porte
le nom de Vincelli-La Grandière, mais que les habitants de Fécamp appellent le
château.
En octobre 1927, le nouvel émetteur de 45 watts entame ses essais techniques.
Le samedi 10 décembre 1927, l’assemblée générale du radio-club, qui rassemble
les 36 membres fidèles au président, est l’occasion d’une démonstration des
nouvelles installations. Avant la réunion, 8.I.C. fait une première émission. Du
vaste salon de la Grandière transformé en auditorium, M. André Bellet interprète
deux chansons, accompagné au piano par son épouse et Fernand Le Grand lance une
convocation sans fil aux amateurs pour les inviter à l’assemblée générale du
club. Un peu plus loin, devant le local de la rue Georges Cuvier, les membres du
comité ont installé des récepteurs sur le trottoir qui captent l’émission.
L’assemblée est, comme prévu, un plébiscite pour le président et son comité. Le
rapport du secrétaire, M. Talbot, et le compte rendu financier du trésorier, M.
E. Durand, sont approuvés a l’unanimité et tout le bureau est réélu dans
l’euphorie.
Au cours du banquet, au restaurant Joubert, les membres écoutent une seconde
émission sur le poste-valise apporté par le vice-président, M. René Legros, M.
Hauguel, au piano, accompagne le chanteur, M. Collignon.
Désormais, Fernand Le Grand est soutenu par une équipe, réduite certes, mais
pleine de détermination.
L’année 1928 commence donc sous les meilleurs auspices. Un grand mât de 30
mètres est monté dans le jardin de la villa, pour tendre l’antenne en nappe
accrochée de l’autre côté à un mât de 5 mètres surmontant le clocheton de
Vincelli-La Grandière.
L’émetteur est calé sur 212 mètres et rayonne avec une puissance de 100 watts.
Les programmes démarrent par une seule émission hebdomadaire, le jeudi soir, de
20 h 30 à 22 heures. Cours du blé et du hareng, nouvelles régionales précèdent
le concert où l’on peut entendre le jazz du casino de Fécamp, la maîtrise de
l’église Saint-Étienne, le fantaisiste normand Maître Arsène (Gaston Demongé)
aussi bien que des artistes de passage au Havre qui consentent prêter leur
concours à la jeune station.
La ville de Fécamp, la chambre de commerce, le syndicat d’agriculture, le
syndicat des armateurs, la corporation des électriciens votent les premières
subventions tandis que de timides et rares publicités apparaissent.
Le découragement ne gagne pas Fernand Le Grand lorsque paraît le décret du 7
juillet 1928 autorisant les 13 stations privées sans qu’y figure Radio-Fécamp.
Il organise une réunion des principaux radio-clubs de la Seine-Inférieure dans
le grand salon de sa villa qui est aussi l’auditorium de la station.
Impressionnés par le luxe des installations — le studio de Radio-Fécamp fait 100
mètres carrés, le sol est recouvert d’épais tapis, les murs sont revêtus de
damas et ornés d’imposantes sculptures favorables à une bonne acoustique — les
représentants de sept des radios-clubs invités fondent la Fédération des R.C. de
Haute-Normandie qui soutiendra la station.
La décision est prise, au cours de la même réunion, de lui donner désormais le
nom de Radio-Normandie. Le vice-président de la nouvelle fédération, André
Bugeïa, président du radio-club de Sanvic-Bléville, écrit, dans le
Havre-Eclair du 20 août 1928 :
"Radio-Normandie est le seul poste de radiodiffusion entre Lille et Rouen,
c’est-à-dire que notre province doit s’y intéresser.
A l’automne prochain, la puissance va être portée à 250 watts. Déjà la
modulation a subi de sérieuses modifications grâce à un amplificateur à
résistances. (...)
Dans le domaine de la radiodiffusion, malgré la valeur de premier ordre de nos
ingénieurs et techniciens, la France est restée loin derrière les pays
étrangers. La cause en est uniquement due à la prolongation des controverses sur
le statut de la radiodiffusion. A la veille du vote de ce statut, qui doit nous
doter d’un système cohérent, jetons nos regards sur les bonnes volontés et ne
cherchons pas à paralyser leurs initiatives".
Les appuis les plus divers sont mobilisés pour sauver Radio-Normandie. Mais
c’est l’intervention de Georges Bureau, député de la Seine-Inférieure, qui sera
déterminante.
Il a été sous-secrétaire d’état à
la marine marchande, en 1915, dans le deuxième cabinet Viviani ou le ministre
des colonies était l’actuel président de la République, Gaston Doumergue.
Avocat, Georges Bureau retrouve comme ministre du commerce et de l’industrie,
dont dépendent les P.T.T., son confrère du barreau Georges Bonnefous. Les
démarches du député du Havre aboutissent à la signature d’un décret, le 24
janvier 1929, autorisant Radio-Fécamp qui rejoint ainsi, comme quatorzième poste
privé, la première liste de juillet 1928.
Les émissions ont lieu trois fois par semaine, les mardi, jeudi et samedi, sur
212 mètres.
Les charges sont de plus en plus lourdes et il devient impossible à Fernand Le
Grand d’assurer, sur sa cassette personnelle, le financement de la station.
Le radio-club de Fécamp pas plus que la Fédération des radio-clubs de
Haute-Normandie, associations constituées selon la loi 1901, ne peuvent
exploiter commercialement Radio-Normandie. Maintenant que le poste a une
existence légale, Fernand Le Grand veut lui permettre de se développer. Il fonde
la société anonyme des émissions Radio-Normandie, dont les statuts sont déposés
le 25 mai 1929 chez Me
Le Monnier, notaire à Fécamp.
La société a pour objet en France, dans les colonies, protectorats français et
pays de mandat, et même à l’étranger, pour son compte et pour le compte de
tiers, l’exploitation du poste de téléphonie sans fil, connu sous le nom de
Radio-Normandie et Radio-Fécamp, étant entendu que ce poste pourra changer de
dénomination, si besoin s’en faisait sentir, et aussi celle de tous autres
postes émetteurs auxquels la société pourrait être appelée à s’intéresser par
voie de création, d’acquisition et tous autres moyens.
Les postes émetteurs pourront être indistinctement, de téléphonie, de télévision
et de tous autres emplois et fonctions auxquels l’utilisation des ondes
hertziennes, en particulier, de l’électricité en général et tout autre procédé
scientifique nouveau, électrique ou non, seront amenés à produire. (...)
Le capital est de quatre-vingts mille francs, divisé en huit cents actions de
cent francs chacune, dont quatre cents sont attribuées au fondateur, André
Fernand Eugène Alexandre Le Grand, pour les apports qu’il fait à la société et
qui sont détaillés ainsi :
- Deux mâts, fils d’antennes, haubans, un poste émetteur complet, cent cinquante
watts et cinq cents watts, un amplificateur haute tension, deux batteries quatre
volts (quarante ampères), une batterie six volts (soixante ampères), trois
batteries quatre-vingts volts (soixante ampères), une batterie vingt volts
(soixante-quinze ampères), un groupe de charge, tableau et commutateur, une
machine et ses condensateurs et filtres, un micro et transformateur, un pick-up
Stellor, un mouvement piles de polarisation, poste d’écoute avec résonance et un
compteur, le tout évalué à la somme de 30 000 francs.
- Un terrain situé à Fécamp (...) d’une contenance totale de deux
cent-soixante-dix mètres carrés (...), et la concession du droit à ladite
société d’établir des pylônes dans le surplus du terrain restant appartenir à M.
André-Fernand Le Grand (...) d’une contenance totale de deux mille cent mètres
carrés. (...)
L’ensemble des biens et droits immobiliers ci-dessus est évalué la somme de dix
mille francs.
Le terrain apporte à la société ainsi que celui attenant qui lui est prêté par
Fernand Le Grand, situé à 300 mètres seulement de Vincelli-La Grandière, a
l’avantage d’être sur une colline. C’est là qu’un petit bâtiment en briques est
hâtivement construit et dès juillet 1929, l’émetteur y est monté avec ses mâts
d’antenne de 30 mètres, dominant la ville et la mer. Officiellement, précise
Fernand Le Grand, ce n’est ni un transfert ni une modification au sens
administratif du terme, c’est simplement le déplacement de quelques centaines de
mètres de l’ancien émetteur construit par les membres du club. En réalité, c’est
une adaptation technique fondamentale assurée par les établissements Kraemer,
constructeurs de postes de radiodiffusion, et qui porte la puissance de
rayonnement à 1 kW mais qui peut, sans problème, l’augmenter considérablement.
La station étend sa zone d’écoute et touche parfaitement le sud de l’Angleterre.
Ses programmes sont d’ailleurs publiés régulièrement par les journaux anglais
Daily Mail, Daily News, Daily Telegraph, Morning Post et Times.
Une première augmentation de capital, le portant de 80 000 à 100 000 francs est
décidée par l’assemblée générale de la société des émissions Radio-Normandie, le
25 janvier 1930.
En février, pour la première fois, Radio-Normandie a son stand à la
foire-exposition de la radio au Havre.
Les contacts noués à cette occasion, conduisent à la fondation, le vendredi 30
mai 1930, de l’Association des auditeurs de Radio-Normandie (section havraise),
par cinq radio-clubs de la région du Havre, plusieurs industriels et commerçants
et les représentants du port autonome. L’idée qui préside à cette création,
c’est de monter un studio, un auditorium au Havre où les ressources artistiques
sont moins limitées qu’à Fécamp. Entre-temps, Radio-Normandie a réalisé sa
première émission extérieure le 25 avril 1930, grâce à des circuits P.T.T.
reliant le studio à la salle des fêtes de l’hôtel de la Poste à Fécamp.
En juin, Fernand Le Grand se rend à Londres pour voir les premiers essais de
télévision selon le système Baird. Il y rencontre les dirigeants de
l’International Broadcasting Company (I.B.C.), société anglaise constituée pour
exploiter la radiodiffusion privée et commerciale, interdite pour l’instant en
Grande-Bretagne. A leur demande, à son retour à Fécamp, Fernand Le Grand fait
réaliser par Radio-Normandie sa première émission nocturne, le dimanche 29 juin
de minuit à 1 heure du matin, pour que I.B.C. puisse effectuer des mesures
d’écoute. Celles-ci sont très satisfaisantes et le principe d’une collaboration
est mis au point.
Le jeudi 7 août, l’Association des auditeurs de Radio-Normandie, section du
Havre, reçoit sa première subvention officielle de 4 000 francs votée par la
municipalité du Havre. Des accords sont passés avec l’hôtel Frascati pour que
l’auditorium havrais soit installé dans un de ses salons, proche du petit
théâtre de l’hôtel qui pourra ainsi servir pour les soirées de gala.
Le 26 septembre, le studio du Havre est inauguré et la première émission en est
retransmise par l’émetteur de Fécamp. Au cours du concert, Fernand Le Grand
annonce, d’une part, que d’autres studios décentralisés seront ainsi réalisés
dans d’autres villes du département et que des démarches sont faites auprès des
pouvoirs publics pour déménager la station, pour la situer en dehors de toute
agglomération en un point plus central de la région. La future station aura de 5
à 25 kW antenne.
On comprendra la raison et l’origine de ces projets lorsqu’on constate que
l’assemblée générale de la société anonyme des
émissions Radio-Normandie
procède, le 21 mars 1931, à une augmentation de capital souscrite, pour
l’essentiel, par l’International Broadcasting Company limited. De cent mille
francs, le capital social passe à cinq cent mille francs. Deux représentants de
l’I.B.C. entrent au conseil d’administration : MM. Albert-Edouard Leonard et
Leonard-Franck Plugge, tous deux domiciliés à Londres.
Depuis novembre 1930, la station a complété ses programmes devenus quotidiens, à
l’exception d’une soirée par semaine pour permettre aux auditeurs proches de
l’émetteur de capter d’autres postes.
La première speakerine, Mlle Francine Lemaître, est rejointe par d’autres
speakers ; Roland Violette, Fernand Malandain et Gustave Milet.
Les programmes parus dans le Havre-Eclair du 19 janvier montrent
l’activité croissante du studio havrais :
Lundi 19 janvier.
A 21 heures : Soirée consacrée à Maurice Chevalier.
Mardi 20 janvier.
A 21 heures : Concert offert par l’Association des auditeurs de Radio-Normandie
(section havraise). Relais du bar de l’hôtel Frascati : 1. Les joyeuses
commères, de Windsor (par l’orchestre); 2. La Tosca, de Puccini : a) prélude ;
b) menuet (solos de violoncelle), par M. Wimberg, ex-soliste de l’Opéra d’État
de Finlande ; 3. Menuet dans le style ancien, d’André Caplet ; 4. Cadence
Tehuelches, de Carlos Lavin (solo de violon par M. Damais, des Concerts
Pasdeloup et vice-président de la Société de Propagande musicale) ; 5. Rip,
opérette de Planquette (par l’orchestre).
Mercredi 21 janvier.
A 21 heures : Radio-concert avec le gracieux concours du quatuor Radio-Normandie
(Mme Delacour, pianiste, M. Richard, professeur de violon, M. Croquison,
violoncelliste et M. Raymond Deschamps, violon ripiane) :
Première partie : 1. Les ruines d’Athènes (Beethoven) ; 2. Mai (Reynaldo Hahn)
3. A mon passage (Franceschi) ; 4. Sérénade hongroise (Joncières).
Deuxième partie : 5. L’Italienne à Alger (Rossini) ; 6. Sérénade, solo de violon
par M. Raymond Deschamps (Ern. Richard) ; 8. Pasqua Fiorita (Chillemont).
Vendredi 23 janvier.
A 21 heures : Concert offert par l’Association des auditeurs de Radio-Normandie
(section havraise). Relais du bar de l’hôtel Frascati.
Samedi 24 janvier.
A 21 heures : Radio-concert de musique enregistrée : 1. Je m’appelle Flossie (J.
Szluc); 2. Les chemins de mon coeur (J. Szluc) ; 3. Mon Petit (Jolson) ; 4.
Lettre d’une amante (M. Baggers) ; 5. Si mes vers avaient des ailes (Reynaldo
Hahn) ; 6. Princesse Czardas (E. Kalman) ; 7. Vous êtes la crème dans mon café
(Marc Hely) ; 8. Frentique « Ô ma bien aimée» (Tehar) ; 9. D’une prison (Reynaldo
Hahn).
De plus en plus, le micro de la station se déplace à l’occasion de diverses
manifestations : soirée de boxe, le 2 mars 1931 au Havre ; messe célébrée a bord
du navire-hôpital Sainte-Jeanne d’Arc, par le R.P. Thierry d’Argenlieu (futur
amiral, commandant des forces navales françaises libres en 1943), le 19 avril
1931 avant son départ pour les bancs de Terre-Neuve ; reportage du match
comptant pour les quarts de finale de la coupe de France, Club français de Paris
contre Excelsior de Roubaix, le 2 avril au Havre ; concerts de carillon des 24
et 31 mai 1931 à Rouen, etc. Le reporter, qui prend de plus en plus d’assurance,
est un jeune journaliste et écrivain régional, Jean Le Povremoyne.
Le studio rouennais, installé dans une des salles de l’hôtel de ville est
inauguré le 25 juin 1931 et l’on annonce l’ouverture prochaine d’un 3e
auditorium extérieur au Tréport.
A partir de juin 1931, Radio-Normandie fait aussi deux émissions quotidiennes.
La nouvelle session de programme démarre à midi, par le carillon de la
Bénédictine et la sirène de l’usine annonçant la fin du travail de la matinée.
Mais, en août 1931, Marcel Pellenc lance une offensive contre Radio-Normandie
comme contre plusieurs autres postes privés. Refus de location de circuits et
autres vexations perturbent les programmes de la station. Le prétexte invoqué a
aussi des relents politiques après diffusion, dans la presse, de la lettre reçue
le 8 août, par Fernand Le Grand :
République française, Postes et Télégraphes,
Direction départementale de Rouen.
Rouen, le 7 août 1931.
Monsieur, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le service de la
radiodiffusion de Paris m’a reproché de vous avoir donné un circuit lors de la
venue à Caudebec de M. Tardieu sans qu’une demande officielle ait été envoyée
par vous et sans que l’autorisation correspondante ait été donnée par
l’administration. En aucun cas, nous ne sommes plus autorisés à donner un
circuit pour radiodiffuser des discours sans que les instructions
correspondantes nous aient été transmises.
C’est là l’origine des difficultés rencontrées, et rien autre chose (sic).
Jusqu’ici rien n’est changé en ce qui concerne la radiodiffusion des concerts
qui exigent l’utilisation des circuits téléphoniques urbains ou interurbains.
D’ailleurs des instructions précises seront demandées à l’administration sur ces
différents points. Veuillez agréer...
Cette subtile forme de censure est stigmatisée par la plupart des journaux
spécialisés.
Le 20 décembre 1931, Radio-Magazine s’étonne :
"On nous signale de curieux essais de Radio-Normandie sur 246 mètres environ.
Ces émissions faites le 13 décembre, de 22 heures à 1 h 30 du matin, fort nettes
et bien modulées, comportaient un concert de musique anglaise offert par une
maison de Londres et ont été entendues dans de bonnes conditions à Montpellier".
C’est la concrétisation des accords de Fernand Le Grand avec I.B.C.
Radio-Normandie devient ainsi, à certaines heures nocturnes un "périphérique
anglais". La station se développe d’ailleurs, au cours de l’année 1932, grâce
aux ressources nouvelles fournies par ses émissions anglaises, d’une part, et à
la publicité nationale que lui apporte, pour ses émissions françaises, l’agence
Publicis. La publicité régionale, elle, est récoltée par le service commercial
de Radio-Normandie, dont la direction est confiée à M. Auzillon.
Les émissions anglaises, à partir du 1er
février 1932, ont lieu les samedis et dimanches jusqu’à 3 heures du matin sur
233 mètres et, dès fin février en semaine, de minuit à 1 heures du matin.
L’équipe anglaise du poste commence à se gonfler. Les speakers venus de Londres
sont Bob Danvers Walker (dit "Uncle Bob"), son épouse et E.J. Oestermann, que
rejoindront bientôt John Sullivan, Ian Newman, D.J. Davies et H.V. Gee.
L’émetteur a toujours une puissance officielle de 500 watts, mais de nouveaux
étages amplificateurs lui donnent, en réalité, une puissance de 8 kW.
Deux fois par semaine, Radio-Normandie fait aussi ses premiers essais de
télévision.
Henri de France, le jeune administrateur-directeur de la Compagnie générale de
télévision du Havre, a équipé la station de son procédé dont la caractéristique
est que l’émission a lieu par signaux successifs et séparés par des intervalles
de temps mort
(“L’antenne” du 14 février 1932).
Mais ces essais de radiovision n’auront lieu que pendant quelques semaines et
s’arrêteront faute de téléspectateurs.
C’est aussi, dans l’histoire de Radio-Normandie, l’époque d’une crise grave.
Fernand Le Grand, toujours soucieux d’augmenter les ressources de sa station,
n’a pas craint de louer des heures d’antenne au Centre de propagande des
Républicains nationaux, fondé par Henri de Kérillis, actif homme politique de
droite, d’autant mieux que cette organisation défend des idées que le président
de Radio-Normandie, à titre personnel, est tout prêt à partager.
L’affaire fait scandale et le comité de la section rouennaise de l’Association
des auditeurs de Radio-Normandie démissionne en bloc, le 8 février 1932, en
expliquant ainsi sa décision :
"Le conseil (...), considérant qu’il s’est proposé lors de la fondation de la
section, un but de décentralisation artistique et d’information régionale, qu’il
s’est interdit, en complet accord avec M. Le Grand, toute incursion dans le
domaine politique, s’étonnant que M. Le Grand ait cru devoir s’écarter de cette
règle en mettant son poste à la disposition d’un parti politique en vue de la
propagande électorale, et ce, au lendemain du jour ou il vient de recevoir une
subvention de 25 000 francs du conseil général
(NDA : à majorité
radicale-socialiste),
estime dans ces conditions qu’il ne peut continuer sa collaboration et décide, à
l’unanimité, de démissionner (...)".
La polémique qui s’ensuit, dans la presse régionale et même nationale, va
jusqu’à mettre en cause les émissions anglaises de la station, ainsi que sa
puissance "usurpée". Pour calmer cette agitation dangereuse, Fernand Le Grand
est contraint de faire machine arrière et envoie, le 8 avril 1932, à René Millot,
président de la section rouennaise qui s’est transformée en Radio-Rouen, une
longue et lénifiante missive :
"(...), je suis heureux de vous faire savoir que notre conseil
d’administration a décidé d’interdire d’une façon absolue les émissions
politiques et cela à la suite de divers incidents occasionnés par ce genre de
propagande.
Radio-Normandie avait cru bien faire en donnant la possibilité à tout le monde
de faire ces émissions. Nous devons sincèrement reconnaître qu’elles sont pour
le moins prématurées. Nos auditeurs, d’une façon générale, sont contre ce genre
de causerie. Radio-Normandie désirant éviter à tout prix la discorde entre ses
auditeurs a trouvé sage d’interdire toute politique au micro.
Dans ces conditions, la manière de voir différente qui nous avait un moment
séparés n’existe plus et Radio-Normandie vous donnant maintenant pleine et
entière satisfaction et vous garantissant que, dans l’avenir, aucune décision
sur ce sujet ne sera prise sans accord avec vous, nous osons espérer qu’il nous
sera possible, comme dans le passé, de collaborer étroitement et de continuer,
depuis notre auditorium de Rouen, les retransmissions qu’il vous appartiendra
d’organiser (...)".
La semaine suivante, le 14 avril 1932, après deux mois d’abstention,
l’auditorium rouennais, installé à l’Hôtel de ville, reprend ses émissions du
jeudi sur la station normande.
Entre-temps, le 11 avril, le premier reportage sur la foire de Caen est diffusé
et le principe de la création d’une section caennaise est décidé. Le 23 avril,
le nouveau groupement est tenu sur les fonts baptismaux par le député du
Calvados et ministre de la santé publique Camille Blaisot. A l’issue de la
soirée à la chambre de commerce, un porte-micro d’honneur, en fer forgé, oeuvre
du ferronnier d’art Pommier, est offert à Fernand Le Grand au nom du nouveau
radio-club et des radio-électriciens caennais.
D’autres nouvelles sections se constituent à Dieppe, Berck, puis à Cherbourg,
Boulogne-sur-Mer, Le Crotoy, Saint-Valéry-sur-Somme, Amiens et Calais : les
Picards, faute de station privée, rejoignent les Normands !
De plus en plus, Radio-Normandie, par la force des choses d’abord, par système
ensuite, devient une station ultra-régionalisée et décentralisée... et cela lui
réussit. Depuis juillet 1932, chaque jeudi, l’heure enfantine est animée par
Tante Francine et Oncle Roland (Francine Lemaître et Roland Violette) et des
piécettes de radio-théâtre spécialement écrites pour les jeunes auditeurs par la
dieppoise Mireille Kermor, sont interprétées par la troupe du théâtre du Petit
Monde de Fécamp.
L’année 1933 constitue une année d’expansion pour Radio-Normandie. La station
augmente encore discrètement sa puissance, mais l’installation de ses nouveaux
pylônes va déclencher une offensive des P.T.T.
Pour changer ses vieux mâts d’antenne haubanés que le vent d’hiver secoue et que
rongent la rouille et les embruns, Fernand Le Grand commande deux pylônes
tripodes autoportants de 100 mètres, à une firme parisienne de construction
métallique, La Construction soudée, que les techniciens montent en mars et avril
1933. Non seulement ces travaux ne passent pas inaperçus — il faut construire un
bout de route et un petit chemin de fer Decauville pour transporter sur place
les éléments dont certains pèsent plus d’une tonne — mais encore tous les
journaux publient la photo (excellente promotion) de Francine Lemaître bravant
le vertige et escaladant les 80 mètres déjà érigés du premier pylône. En mai, la
campagne anti-Radio-Normandie démarre dans un certain nombre de journaux.
Le Haut-Parleur mène la danse en écrivant :
"La construction, à Fécamp, de nouveaux pylônes d’antennes pour
Radio-Normandie a fait naître une émotion considérable dans les milieux
sans-filistes normands. Avec un zèle de bénédictin, le directeur du poste
s’efforce de convaincre les auditeurs de ce que la puissance ne sera pas
augmentée. Mais il se garde de spécifier le nombre de kilowatts actuellement
employés. Reconnaître les 16 kW qu’il imprime sur des prospectus (Les tarifs de
publicité de la station pour l’Angleterre), c’est avouer la fraude envers l’État.
Déclarer une puissance inférieure, c’est avouer la fraude envers les clients de
la publicité. Et M. Le Grand ne peut rien répondre aux sans-filistes
protestataires de le région qui se plaignent de ce que Radio-Normandie les
empêche d’entendre d’autres stations".
Dans sa colonne d’échos, le Haut-Parleur est encore plus fielleux :
"M. Pellenc travaille beaucoup. On dit au ministère :
— C’est le bénédictin. Quand il a bien travaillé pour interdire la mise en
fonctionnement du poste de Saint-Agnan (Radio Toulouse), il se repose en fermant
les yeux sur l’augmentation de puissance de Radio-Normandie. On dit au ministère
:
— C’est la Bénédictine"
(“Le Haut-Parleur” du 21 mai 1933).
Et comme, même dans la région normande, l’autoritarisme impérial de Fernand Le
Grand lui vaut quelques ennemis, la convergence des attaques aboutit.
Le jeudi 6 juillet, les P.T.T. suppriment brutalement les lignes qui servent à
Radio-Normandie pour assurer les retransmissions des studios décentralisés des
sections d’auditeurs.
Au début d’août 1933, le journal France-Radio rapporte la teneur du
message que Fernand Le Grand vient de faire parvenir aux sections de
l’association des auditeurs de Radio-Normandie :
"La direction de la Société des émissions Radio-Normandie, qui exploite le
poste d’émission autorisé à fonctionner sous le nom de Radio-Fécamp, vient
d’envoyer aux groupements d’amateurs et d’auditeurs du littoral nord-ouest une
circulaire qui leur annonce que, dorénavant, les concerts organisés dans les
villes de la région ne pourront plus être diffusés par le poste sus-désigné.
L’administration P.T.T.ique (sic) a notifié à la société exploitante que,
dorénavant, on ne lui louera plus les lignes. D’autre part, précisent les
communiqués, le service de la radiodiffusion a enjoint à Radio-Normandie de
revenir à la puissance de 700 watts sous laquelle Radio-Fécamp avait été
autorisé à fonctionner (...)".
Les responsables des sections, ainsi agités, réagissent et interviennent par des
pétitions et des pressions sur tous les élus. Au cours de leur session
d’octobre, les conseils généraux de l’Eure et du Calvados émettent le voeu que
les relations téléphoniques soient rétablies le plus rapidement possible avec le
poste si goûté de Radio-Normandie.
Le conseil général de la Seine-Inférieure, de son côté, renouvelle au poste
normand la forte subvention qui lui est allouée depuis plusieurs années.
Le 7 novembre, c’est l’assemblée des présidents des chambres de commerce de
France qui vote le voeu suivant :
"Que l’État renonce à toute mesure directe ou indirecte aboutissant, en droit
ou en fait, au monopole de la radiodiffusion".
Mais rien n’y fait, la décision prise par le ministre Laurent-Eynac n’est pas
rapportée. Entre-temps, Radio-Normandie n’a pas stoppé, pour autant, la mise en
oeuvre de ses projets. Un véritable service des informations est créé et des
nouvelles matinales sont données dans une première émission à 7 heures du matin,
tandis qu’un dernier bulletin donne, de minuit à 0 h 15, les informations de
Londres en langue anglaise et de 1 h du matin à 1 h 15, les nouvelles de Paris
en français.
Une remorque est équipée du système Le Ruban Sonore, utilisant, à
l’enregistrement, un procédé de gravure électro-mécanique par pointe de diamant
sur un film 16 mm en papier noir opaque d’acétate de cellulose défilant à
vitesse constante. Pour la reproduction, on se sert du procédé de lecture du
cinéma sonore par cellule photo-électrique. Cet équipement permettra de
reprendre, mais en différé cette fois, la retransmission des émissions et des
concerts organisés par les sections de l’Association des auditeurs de
Radio-Normandie.
La parution du décret du 26 décembre 1933 est peut-être l’arrêt de mort de la
station normande. Il précise qu’à dater du 15 janvier 1934, les stations de
radiodiffusion privées devront se conformer aux dispositions de la Convention
européenne de Lucerne. Radio-Normandie devra désormais émettre sur 200 mètres de
longueur d’onde ou se voir retirer son autorisation. Or, la majorité des
récepteurs en fonctionnement ne sont pas étalonnés pour descendre sur cette
fréquence de 1 500 kilocycles. Radio-Normandie perdra 80 % de son auditoire.
La coupe est pleine. Au lendemain des fêtes de fin d’année, une délégation de
députés et sénateurs de la région normande se rend à Paris pour effectuer une
démarche auprès du nouveau ministre des P.T.T. qui a succédé à Laurent-Eynac,
Jean Mistler. Il y a notamment le sénateur Charles d’Harcourt, les députés et
anciens ministres Camille Blaisot et Georges Bureau, leurs collègues
Duschesne-Fournet, Joseph Laniel et le duc François d’Harcourt.
Jean Mistler consent à réserver, à titre provisoire, la longueur d’onde de 206
mètres disponible pour Radio-Normandie et promet qu’un renforcement de la
puissance de l’émetteur pourra être accordé ainsi que le rétablissement des
circuits P.T.T. En attendant les textes officiels, la station normande pourra
poursuivre son exploitation dans les conditions actuelles. Radio-Normandie est
sauvée. Son développement et l’extension de son écoute ne cesseront jusqu’à la
guerre.
(...) Enfin, Radio-Normandie continue, à la fois, à être le grand poste régional
normand et à développer ses émissions à destination de la Grande-Bretagne dont
il est le "premier périphérique". Son animateur-fondateur, Fernand Le Grand,
obtient du ministre Georges Mandel, l’autorisation de transférer sa station de
Fécamp à Caudebec-en-Caux, sur le vaste plateau de Louvetot, par décret du 7
août 1935. Le 30 novembre de la même année, la première pierre de l’édifice du
nouvel émetteur est posée officiellement, en présence du sénateur Thoumyre,
président du conseil général, du sous-préfet Rix et du chef de cabinet de
Camille Blaisot, sous-secrétaire d’état
à la présidence du conseil. Le ministre des P.T.T. a délégué l’inspecteur
général de la radiodiffusion, Marcel Pellenc, qui présidera le déjeuner
réunissant toutes les personnalités présentes.
Ancienne "bête noire" des radios privées, dont le ministre a su modifier le
point de vue, Marcel Pellenc a l’humour de terminer ainsi son discours :
"... Et je me permettrai de vous signaler que c’est peut-être pour les
sans-filistes, l’occasion de marquer d’un signe particulièrement reconnaissant
envers M. Mandel, ce fait que, pour la première fois que je m’assieds à la table
d’un poste privé, nous prenons acte d’une étroite collaboration féconde dont
profitera la radio, à l’intérieur de nos frontières, et l’extension de l’art
français à l’étranger".
Toute l’année 1936 est consacrée à l’aménagement des nouveaux studios de
Radio-Normandie, dans le ravissant château de Caudebec
(L’actuelle mairie de Caudebec)
au bord de la Seine, tandis que sur le plateau de Louvetot s’élève le manoir
normand qui abritera les machines et le personnel de l’émetteur.
Comme ce transfert a été facilité aux P.T.T. par un jeune attaché de cabinet de
25 ans, Max Brusset, qui sait négocier son influence réelle ou supposée, Fernand
Le Grand va l’engager lorsque l’avènement du Front populaire met le jeune homme
au chômage. Max Brusset devient délégué général du poste à Paris. C’est lui qui
s’entremettra avec Paris-Soir pour que ce journal assure les émissions
d’informations de Radio-Normandie.
Ambitieux et retors, Brusset qui n’a pas de fonds personnels mais qui a l’art
d’inspirer confiance, a déjà mis sur pied une combinaison visant à installer un
poste commercial à Monaco
(Radio Monte Carlo).
Ayant essuyé un premier échec, il va, à l’insu de Fernand Le Grand, s’aboucher
avec M. G. Shanks, administrateur de l’International Broadcasting Company, pour
tenter de racheter un poste existant, le transférer dans la Somme, dans le Nord
ou bien l’Eure et en faire un nouveau périphérique anglais. L’entente ainsi
constituée dispose, avec divers bailleurs de fonds, d’une somme de 10 millions
pour mettre sur pied l’opération.
Brusset fait des approches auprès de Radio-Agen, mais celui-ci est dans la
mouvance du groupe Trémoulet
(Radio Toulouse) et
constitue donc une chasse gardée.
Max Brusset crée alors en 1937 la Société informations et transmissions (S.T.I.),
dont le siège social est à son domicile personnel, boulevard Raspail, à Paris.
En tant qu’administrateur-délégué de cette société, il va acheter une part
importante des actions de Radio-Méditerranée et s’entendre avec son
directeur-général Pierre de Présalé, pour transférer la station dans le Nord,
ainsi qu’en fait foi une lettre du 23 novembre 1937 où Brusset écrit notamment :
"(...) Nous vous proposons donc, comme futurs actionnaires, un accord aux
conditions suivantes :
1° Nous demandons d’avoir au conseil d’administration une représentation
proportionnelle au nombre d’actions possédées par chacun de nos groupes, 3
places sur 7 administrateurs.
2° La politique commerciale et la direction du poste seraient assurées en commun
avec vous et aucune décision importante ne serait prise avant l’accord des deux
groupes.
3° Vous nous donneriez l’accord formel de la société, pour entreprendre toutes
démarches en vue du transfert du poste au cas où nous pourrions l’obtenir, ceci
dans un but d’amélioration commerciale du poste”...
(Archives de
Radio-Méditerranée, détenues partiellement par Thérèse Le Roy de Présalé).
Quand Fernand Le Grand de Radio-Normandie apprend les manœuvres de son délégué
parisien, il crie à la trahison et le limoge aussitôt. Brusset, se réservant de
lui faire payer cette rupture, active les choses. Il a trouvé un site favorable
pour installer le grand poste commercial dont il rêve avec ses amis anglais : le
château d’Epône-Mézières en Seine-et-Oise. Une Société du Château d’Epône est
aussitôt constituée pour l’acheter. En sous-main, Brusset se procure encore 3
600 actions de Radio-Méditerranée, en décembre 1938, grâce à une avance que lui
fait l’I.B.C. de quelque 3 millions de francs (Procès-verbal de la réunion du
conseil d’administration de la S.I.T. du 26 décembre 1938 (greffe du tribunal de
commerce de la Seine) et lettre de l’I.B.C. du 26 juillet 1939 rappelant sa
créance remboursable soit en francs, soit en actions de Radio-Méditerranée).
Il contrôle ainsi la majorité du capital de cette société. Les projets de Max
Brusset semblent donc en très bonne voie, d’autant que depuis le mois d’avril
1938, avec le retour de Georges Mandel aux affaires (au ministère des colonies),
cet habile manoeuvrier est devenu son chef-adjoint de cabinet, position utile à
ses desseins. Mais les événements politiques se précipitent en Europe, et vont
donner à Brusset l’occasion de faire coup-double : monter le nouvel émetteur
qu’il souhaite et faire payer à Fernand Le Grand son éviction de Radio-Normandie.
Cinq jours après la déclaration de guerre, le 8 septembre 1939, Radio-Normandie,
seul parmi les 12 postes privés français, est réquisitionné pour les besoins de
la défense nationale.
La S.I.T., pour compte de la Société du Château d’Epône, rachète l’émetteur de
Fécamp inutilisé depuis la mise en route de celui de Louvetot, quelques mois
plus tôt.
Fernand Le Grand rend, bien sûr, responsable Max Brusset de la réquisition de
son poste. Il le dit avec véhémence, au cours d’une réunion de la fédération des
postes privés, le 12 septembre 1939, où Max Brusset jure ses grands dieux qu’il
n’a jamais fait aucune démarche directe ou indirecte pour demander ou faire
hâter cette réquisition, qu’il n’a connue personnellement que lorsqu’elle a été
effective et officielle, et à laquelle il était et reste opposé catégoriquement
(Propos réaffirmés au cours de la séance du 7 novembre 1939, de la fédération.
In P.V. des réunions de la fédération, archives de l’auteur).
L’ennui, c’est qu’une lettre du 19 décembre 1939, adressée par M. Shanks de
l’International Broadcasting Company à Max Brusset, semble prouver que toute
l’opération était bien préméditée si l’on en juge par cet extrait :
"... La convention qui vient d’être échangée entre la société I.B.C. que je
représente, et vous-même, pour la mise en marche du poste de Fécamp, dont la
société S.I.T. est propriétaire, a besoin d’être précisée sous forme d’une
lettre-accord en ce qui concerne vos intérêts.
(...) Il va de soi que si, après les hostilités, les émissions du poste de
Fécamp étaient maintenues et si elles avaient comme les autres postes privés, un
caractère commercial, un nouvel arrangement spécial interviendrait entre nous,
les accords présents constituant un minimum de départ".
(Archives partielles de la
S.I.T. saisies par les Allemands et récupérées après guerre par le commissaire
du gouvernement Bouchard).
Comme le moment est mal choisi pour lancer une station publicitaire, l’émetteur
de Fécamp de Max Brusset va servir, sous l’égide du commissariat général à
l’information (Jean Giraudoux), du ministère des affaires étrangères
(l’ambassadeur Fouques Du Parc), et de la commission des affaires étrangères de
la chambre (Jean Mistler) à la propagande française en langue étrangère. Mais
c’est la S.I.T. qui effectue toutes les démarches et qui paie, notamment,
l’abonnement au service des dépêches de l’agence Havas (Correspondance
S.I.T.-Havas, d’octobre 1939 à janvier 1940. Archives Havas aux Archives
nationales).
Les émissions en tchèque sont dirigées par MM. Mazarick et Osusky, celles en
autrichien le sont par S.A. l’archiduc Otto de Habsbourg. Les archives ne
permettent pas de déterminer le nom du rédacteur en chef des émissions
polonaises.
Le deuxième acte de la pièce imaginée par Max Brusset — et dont il modifie
l’intrigue au fur et à mesure des événements — consiste à faire transférer, pour
raisons techniques de sécurité militaire, l’émetteur de 10 kW de Fécamp à Epône.
La puissance en sera considérablement augmentée par l’adjonction de matériel
Thomson-Houston spécialement commandé et le titre de la station :
Radio-International-Fécamp sera changé pour celui de Radio-International-Epône.
Là, les dirigeants de la fédération des postes privés commencent à se poser
sérieusement des questions. Pour les calmer, Max Brusset écrit une longue
lettre, le 9 mars 1940, à Jacques Tremoulet, vice-président de la fédération où
il interdit à quiconque de mettre en doute sa parole et où il précise :
L’installation du poste à Epône, dans la région parisienne, s’effectuera en
accord et d’ordre du gouvernement dans un but d’intérêt général et de propagande
française qu’il n’appartient à personne de discuter, et dont la réalisation ne
saurait être attaquée. Ce poste n’émettra à aucun moment en langue française et
ne fera aucune publicité commerciale française. Il est destiné uniquement à des
émissions en langues étrangères, sous le contrôle du ministère des affaires
étrangères et du commissariat général à l’information, à la disposition duquel
il a été mis.
Très astucieusement, Max Brusset ne parle que de publicité française... il ne
ment pas une seconde puisque si l’émetteur peut devenir commercial après les
hostilités, il sera destiné à la publicité anglaise.
Mais l’arrivée des Allemands, en juin 1940, sonne le glas de ces belles
espérances. Ils termineront les installations d’Epône pour en faire Radio-Calais
émettant vers l’Angleterre. Quant à l’émetteur de Louvetot de Radio-Normandie,
il passe dans le giron de la Propaganda Abteilung et fera partie (après
augmentation de sa puissance à 60 kilowatts) de la chaîne Radio-Paris.
(...) Max Brusset n’abandonne pas. Puisqu’un Radio Monaco n’est pas
envisageable, pour l’instant, c’est vers Radio Méditerranée qu’il va se tourner
pour tenter d’en prendre le contrôle et de le transférer dans le Nord de manière
à rayonner vers la Grande-Bretagne. Après toute une série de manoeuvres, Brusset
se retrouve, au moment de la débâcle, avec 75 % des actions de Radio
Méditerranée, trois sociétés qu’il a fondées (société Informations et
transmissions - S.I.T. - Partelec et société du Château d’Epône) et pas mal
d’ennuis. (...)
Dans le petit monde de la radio privée, l’épuration fait aussi des ravages qui
doivent souvent moins à la morale politique qu’aux rivalités d’affaires. Ainsi
sur dénonciation de Max Brusset, son associé de Radio Méditerranée, Pierre Le
Roy de Présalé, et son ancien patron et ami de Radio-Normandie, Fernand Le
Grand, sont inculpés d’intelligence avec l’ennemi et incarcérés en février 1945.
Le 9 mars 1946, le commissaire adjoint du gouvernement, Fouquin, conclut à la
mainlevée des mandats de dépôts décernés contre ces inculpés et au classement de
l’affaire qui, pour lui, se résume à une querelle d’intérêts plus qu’à un
problème de collaboration. Mais Max Brusset insiste et un complément
d’information est ordonné. Un autre commissaire du gouvernement, Bouchard, en
est chargé. Son réquisitoire du 29 novembre 1948 confirme les conclusions de son
prédécesseur et se termine par cette phrase désabusée qui en dit long : Il est
inutile de poursuivre l’examen des pièces pouvant concerner Max Brusset...
puisqu’il n’est pas inculpé.
Fin des chapitres consacrés à Radio-Normandie
Texte extrait de
l’ « Histoire de la radio en France » par René Duval - Eds Moreau
1980
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